Oui, c'est provocateur ! Pourquoi ai-je choisi d'écrire sur ce sujet ?
Au départ, cela part d'une inquiétude. Je vois autour de moi des personnes, des équipes empiler les projets, multiplier les engagements, vouloir tout mener de front, jusqu'à s'épuiser. Mais sans doute parce qu'avant tout, j'ai besoin de me bousculer moi-même.
Peut-être que comme moi, vous valorisez la ténacité et que vous dénigrez l'idée de lâcher. Que cela vous a emmené(e) dans le mur. Et que pourtant, vous recommencez, encore et encore, comme si quelque chose de plus fort venait écraser les leçons apprises que vous avez pourtant bien en tête.
Valoriser l'abandon sonne faux pour la plupart d'entre nous. Et pourtant, à certains moments clés, c'est une décision vitale.
Ce que cela dit de nous
Un projet dans lequel on a mis des moyens. Une relation dans laquelle on s'est investi(e). Une idée forte à partir de laquelle on a pris des décisions importantes. Mais un jour, ce à quoi on a cru se transforme en bourbier, et on s'enlise.
Alors que rien ne nous pousse à continuer, pourquoi l'abandon nous semble-t-il impensable ?
Nous ne sommes pas des êtres de raison. Ce blocage parle de nous. De nos croyances fondatrices, ces mécanismes que nous nous sommes construits pour nous adapter, pour survivre, pour être dignes d'être accepté(e)s et aimé(e)s. De notre capacité à leur désobéir, quand elles nous limitent, plutôt que quand elles nous aident.
A l'idée d'abandonner un projet, peut-être entendez-vous ces petites voix infernales*.
"Il faut que tout soit parfait. Si j'abandonne, c'est que j'ai raté. Cela voudra dire que je ne suis pas au niveau. Les autres vont s'en rendre compte et je vais perdre ma crédibilité."
"Je dois être fort(e). Pas question de flancher ou d'avoir des états d'âme. A moi de faire ce qu'il faut sur ce projet. Les autres comptent sur moi."
"Je dois faire plaisir et satisfaire tout le monde. Si j'abandonne, les gens vont m'en vouloir, je vais les décevoir et ils penseront que je suis égoïste."
"Si c'est dur, c'est bon signe. Si c'était facile, cela voudrait dire que je n'aurais pas assez travaillé. Pas question d'abandonner, il faut redoubler d'effort."
"Vite, vite. Ce projet traîne trop. Pas question d'arrêter. Je dois l'accélérer et le boucler rapidement, tant pis pour ceux qui ne suivent pas. Il faut se dépêcher."
Heureusement, une croyance n'est qu'une croyance. On peut croire à autre chose sans se renier ni se mettre en danger.
Compassion et discernement
Pour sortir de ces pièges invisibles, nous avons besoin de deux choses : de compassion envers nous-mêmes, et de discernement pour décider au plus juste.
Abandonner consciemment est un acte stratégique. Savoir abandonner est un geste qui se travaille.
Je vous partage les 5 questions que j'apprends à me poser quand je suis tentée de tenir bon à tout prix sur un projet ou un engagement.
1°) Quelle était l'intention au départ ? Qu'est-ce que je voulais réussir ? Quels repères avais-je défini pour suivre mes avancées et m'assurer que la réussite soit en bonne marche, au delà des obstacles ?
2°) Où en suis-je aujourd'hui, par rapport à d'où je viens et où je vais ? Factuellement, que me montrent les résultats ? Sincèrement, sans me raconter de mensonge, où en suis-je par rapport à mon intention, à ce qui compte pour moi ?
3°) Si je n'avais encore rien investi comme temps, comme énergie, comme argent, est-ce que je me lancerais encore sur cet engagement aujourd'hui ? (meilleur antidote pour contrer notre biais des coûts irrécupérables)
4°) Si j'arrête, à qui d'autre que moi cela posera-t-il problème ? Avec qui dois-je avoir une conversation honnête pour garder la confiance ? Comment puis-je m'y prendre concrètement ?
5°) Si j'arrête, qu'est-ce que cela me fait gagner ? Quel horizon cela ouvre pour moi ? Qu'est-ce que cela me permettra de libérer de plus important, auquel je renonçais jusqu'à présent ?
Dans la vie, rien n'existe sans son contraire. Nous passons malheureusement la plupart de notre temps à réfléchir de manière binaire, en jugeant selon l'axe "bien / mal".
En réalité, nous avons besoin de toutes les polarités pour créer un équilibre juste. Persévérer, autant qu'abandonner.
J'espère que ces lignes vous aideront à réfléchir en conscience aux moments clés pour prendre la meilleure décision qui soit.
* Ces petites voix sont issues de messages contraignants intériorisés dès l’enfance, qui nous poussent à répéter certains comportements sous pression. Dans ses travaux en Analyse Transactionnelle, le psychologue américain Taibi Kahler a mis en évidence 5 grands drivers : "Sois parfait", "Fais plaisir", "Sois fort", "Dépêche-toi", "Fais des efforts". Ces automatismes sont utiles pour réussir à un moment donné, mais ils peuvent cependant nous piéger en limitant notre potentiel de développement.